Après le Tour du monde à la rencontre des signes d'espérance,
nous continuons en France...
Il est 20 heures, nous retrouvons Martin, Quentin, Isabelle et Charlotte dans un quartier de Paris. Ces jeunes de 18 à 25 ans sont là tous les 15 jours pour aller rencontrer par groupe de 2 ou 3 les personnes seules dans la rue, le plus souvent des SDF.
Nous partons vers la gare Saint Lazarre,
Quentin nous explique : « nous partons sans rien, nous voulons juste
passer un moment avec ceux qui le désirent... ». J’avoue que
c’est bien étrange de prendre le métro sans être pressé,
sans avoir de rendez-vous, sans but précis. Pour une fois, au lieu
de détourner le regard, on cherche le contact, on cherche une occasion
de discuter. Mais comment va-t-on les aborder ? Nous nous sentons bien
maladroits et puis...
-« Bonjour monsieur, vous voulez une cigarette ? »...
-« Ca c’est sympa mon ptit gars ! Celle là au moins j’aurai
pas besoin de la rouler, j’suis déjà assez fatigué
de rouler ma bosse... ».
Guy, qui s’apprêtait à se
coucher nous fait une petite place sur son duvet. Il nous
raconte ses bons souvenirs, ses dernières lectures. Il fredonne
dans sa longue barbe blanche : « Fais ta prière ce soir,
demain il sera trop tard pour toi, le condamné à mort...
». Dans ses récits, ses yeux brillent pour chacun de ses bons
souvenirs, on ne sent ni regrets, ni aigreur... Sa dignité nous
touche. Lionel dormait à côté, nous ne voulions pas
le déranger, il s’approche :
-« Avec tous le respect que je vous dois, puis-je m’asseoir avec
vous ? ». Isabelle lui fait une place sur le duvet offert par l’armée
du salut. « Putain, vous êtes sympa ! », « Oh !
pardon » fait-il en regardant Isabelle qu’il ne voulait pas choquer
! « Avec tous le respect que je vous dois, est-ce que je peux vous
demander une cigarette ?». Il recommence : « Avec tous le respect...
»
-« Tu sais Lionel, on a presque le même âge, alors
pourquoi tu nous dit toujours : « Avec tous le respect que je vous
dois. ».
-« Moi, je vous respecte parce que vous venez nous voir ».
Nous passons un bon moment avec Guy et Lionel,
on
se sent bien avec eux parce qu’on n’a rien d’autre à faire que d’être
avec eux, pour une fois ! Nous leur laissons une ou deux cigarettes avant
de les laisser dormir. Sur le chemin du retour nous discuterons avec Michel
et d’autres encore...
Le lendemain, à la soupe populaire de la Trinité, je
retrouve Lionel par hasard. J’ai l’impression de retrouver un ami, nous
discutons pendant le déjeuner, l’avantage, c’est qu’il a cuvé
de la veille...
Martin, Quentin, Charlotte et Isabelle nous expliquent qu’ils se sentent
depuis, plus proche de ceux, qui chaque jours, viennent les "bassiner"
de leur rengaine métropolitaine. Le sourire vient alors plus spontanément...
A Paris, nous faisons la connaissance de Tristan, qui vient de débuter
une activité de commerce équitable.
Après avoir fini ses études à HEC, il a travaillé
durant plusieurs années comme auditeur interne chez l’Oréal,
avant de réaliser que cette situation ne correspondait pas vraiment
à ses aspirations.
Il a alors fondé une association : « Pole des solidarités
».
Cette structure a trois objectifs :
- Soutenir l’activité associative de solidarité dans les
pays en développement et d’insertion en France.
- Développer le commerce équitable
- Favoriser l’insertion par l’économie en France.
Le Pôle assure une aide et un suivi permanent des activités des associations afin de garantir une plus grande efficacité des actions menées et donc une plus grande crédibilité auprès des organismes donateurs. Tous les services du Pôle sont gratuits et chaque association garde son indépendance administrative.
Afin de financer les frais de structure de l’association et, à terme, de venir en aide de manière ponctuelle aux besoins financiers des associations, Pôle des Solidarités a décidé en Novembre 1998 de démarrer une activité commerciale : le commerce équitable.
Mais qu’est-ce donc que le commerce équitable?
C’est un commerce alternatif qui établit des échanges
entre pays développés et pays en développement fondés
sur la dignité. Pour un article fabriqué dans un pays en
développement, le consommateur du pays développé paie
un prix qui correspond à une rémunération décente
pour le producteur. Les produits sont achetés directement aux groupements
de producteurs ou via une centrale d’achat de commerce équitable.
Pôle des Solidarités a donc ouvert sa boutique et compte
déjà s’agrandir. On trouve de tout dans cette boutique :
des produits alimentaires des vêtements, de l’artisanat, plus de
800 références en provenance du monde entier. C’est une vrai
caverne d’Ali Baba.
Maïti Girtanner avait 17 ans lorsque la seconde guerre mondiale éclata ; et 18 ans lors du déferlement des blindés allemands jusque dans sa propriété familiale : aussitôt, elle « tomba en Résistance », tout naturellement. Une aventure qui a failli lui coûter la vie et qui l’amena à expérimenter la force extraordinaire du pardon.
Comment êtes vous entrée en résistance ?
« Notre maison était sur la ligne de démarcation ; très vite, j’établis une filière d’évasion et je créai un petit groupe d’étudiants résistants. Vol de carte militaires allemandes et recherche de renseignements sur les mouvements des sous marins ennemis afin de faciliter le débarquement des alliés, etc.
Comment avez vous été prise par la Gestapo ?
Sous la contrainte, j’ai du jouer au piano plusieurs fois pour de hauts
dignitaires la Gestapo. Arrêtée fin 1943, je fus reconnue
par l’un d’eux. Il réalisa que je les avais dupés et dans
son orgueil durement blessé, il m’envoya dans un camp de représailles
dont personne ne sortait vivant.
Là, un jeune médecin nazi me saccagea des racines nerveuses
pour me plonger dans une souffrance permanente. Le but : rendre fous de
douleur jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il avait suivi un vrai lavage
de cerveau chez les jeunesse Hitlériennes et il pensait réellement
servir une grande cause en éliminant les juifs et les terroristes
(c’est ainsi qu’ils appelaient les résistants).
Dans ce camps de médecins bourreaux, qu’est-ce qui vous a fait tenir ?
Nous étions dix-huit hommes et femmes enfermés dans une
cave et j’essayais de rompre notre silence prostré, proposant des
petits temps de prière afin de ne pas sombrer dans le désespoir.
Les séances de tortures se succédant, certains moururent
et nous perdîmes la force de parler, mais la prière nous aida
beaucoup.
Un miraculeux concours de circonstances aboutit à ma libération,
encore vivante, certes, mais ma carrière de pianiste était
brisée et mon corps miné par une douleur incessante. Le suicide,
parfois traversa mon esprit pendant des années. Pourtant, je me
demandai quel sens donner à ma vie. Je choisis d’enseigner la philosophie
à domicile et d’étudier la théologie. Dans la bible,
je cherchais Jésus comme une personne et j’essayais de le suivre
pauvrement avec mon fardeau.
Et malgré cette souffrance, vous avez réussi à pardonner ?
Quarante ans après ma libération, un coup de téléphone
me fit reconnaître immédiatement la voix de Léo, mon
bourreau. Il me dit qu’ils n’avait plus que 3 mois à vivre étant
gravement malade : « je me souviens que vous parliez de la mort et
de la souffrance avec vos codétenus. J’ai une peur horrible de la
mort. Puis-je venir vous voir ? »
J’acceptai. J’avais beaucoup prié pour lui depuis 40 ans, avec
le désir fou de lui pardonner ; mais peut-on savoir...
J’étais clouée au lit par la douleur quand il s’assit
près de moi : « voilà votre œuvre, Léo. »
Nous discutâmes beaucoup de la mort, de l’après-mort, de Dieu.
Avec un air impuissant, il demanda : « Mais que puis-je faire ? »
Je lui dis que face au mal absolu qu’il avait commis, il n’y avait qu’une
réponse : l’amour ; « ne soyez qu’amour pendant le temps qu’il
vous reste. » A l’instant du départ, sans aucune préméditation,
je l’embrassai, et lui me demanda pardon. J’avais donc bien pardonné.
A son retour en Allemagne, il convoqua sa famille, amis, serviteurs,
et il leur avoua son passé que tous ignoraient : il était
un chirurgien renommé, un notable de sa ville... Sa femme savait
depuis peu. Il ne cessa, jusqu’à sa mort de poser des actes de charité
et d’amour, distribuant même ses biens. Expérience bouleversante
qui me montra la faiblesse du bourreau et la force du pardon.
Maïti est, depuis ce déjeuner dominical de 1987, une voisine, une amie, une mère, une conseillère spirituelle... Nous lui devons beaucoup, je lui dois beaucoup.
Christian