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Héritiers de l'antique Phénicie, le pays fut conquis par les arabes (vers 637) et passa ensuite sous la domination des francs (1098-1289), des mamelouks d'Egypte (jusqu'en 1516) puis des Ottomans (XVIe). Après la victoire des alliés, le Grand Etat Liban fut placé sous mandat français en 1920, comme la Syrie. Signée en 1936, l'indépendance du Liban fut effective en 1943. En 1975, les Palestiniens expulsés de Jordanie s'installent au Sud du pays, impliquant d'emblée le Liban dans le conflit avec Israël. Suivent 15 années de guerre civile, de réactions et d'affrontements entre les diverses factions, avant que la Syrie ne vienne occuper le pays.
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Population / géographie :
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Beyrouth, entre mer et montagne. |
A l'aéroport, nous sommes accueillis chaleureusement par Léa, Eddy, Erzé, Maria et Nada qui nous ont tout de suite pris en charge. Les libanais prennent à cœur notre passage et multiplient les démarches pour dénicher les initiatives intéressantes. Si pour vous, c'était les vacances, pour nous c'est un rush incroyable, des RDV dans tous les sens, des rencontres passionnantes, des nuits très très courtes,... la pleine vie quoi !! Les libanais nous amusent car ils parlent arabe bien sûr, français évidemment et anglais. Du coup leurs phrases sont un mélange des trois langues, un mot anglais par ci, une expression française par là, et le reste en arabe. Mais au moins, comme ils parlent presque tous français, la communication est plus aisée que dans d'autres pays.
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La guerre a laissé des stigmates, mais la ville est en pleine reconstruction. |
Plus que partout ailleurs dans le monde, le neuf et la ruine se côtoient. De la place des martyrs, Paul nous montre un reste d'immeuble coincé entre de superbes édifices. Il nous explique que c'est de là que les tireurs " arrosaient " les passants et habitants des alentours, dont ses parents faisaient partis…Dans Beyrouth, quelques endroits sont connus de tous et d'une triste célébrité. Il en est ainsi pour la ligne verte, c'est-à-dire la séparation entre Beyrouth Est (camp des chrétiens) et Beyrouth Ouest (camps des musulmans), ou encore la rue de Damas, la " rue de la mort ". Dans beaucoup de lieux, certains se souviennent d'avoir vu des atrocités, entendus des mères pleurer leurs fils et hurler leurs douleurs. Bref, chaque rue a son histoire propre, ce qui donne un ton particulier à la ville, surtout lorsque ce sont des jeunes de notre âge qui nous en parlent.
Nous parlons évidemment beaucoup de la guerre avec Léa, Rita et les autres, car il s'agit d'une situation unique durant notre périple. Chacun d'entre eux tente de nous expliquer l'origine de cette guerre. Pour eux, si certains faits sont clairs, il ressort tout de même une incompréhension globale. Pourquoi nous sommes-nous tapés un jour les uns sur les autres alors qu'autrefois les différentes communautés cohabitaient pacifiquement ? Il demeure un sentiment d'absurde et des souvenirs un peu irréels. Nous sommes allés voir le film " Ouest Beyrouth " : un autre éclairage sur ce conflit. Et là aussi, l'auteur montre l'incompréhension des habitants, comme s'ils avaient été manipulés et embarqués malgré eux dans le conflit. Et si un plus fort sentiment de nation avait existé au début de la guerre, les Libanais auraient certainement réagi ensemble contre ce conflit. Car l'une des forces des Libanais, c'est leur sens commercial... Nul doute là-dessus, ils sont redoutables. Mais, cette excessive propension à faire du commerce (on aimerait parfois avoir du sang libanais..), a un revers, l'intérêt général passe souvent après l'intérêt individuel. En revanche, au sein des familles, les liens sont extrêmement forts. Les libanais résidants à l'étranger (Australie, Etats-Unis, France, Brésil, Angleterre, Emirats Arabe Unis, Afrique…) ont permis à ceux resté sur place durant le conflit de tenir le coup par une aide régulière. Ces expatriés, au nombre de 13 millions, restent très attachés à leur terre natale. Ils y ont tous des intérêts et y portent une fidélité sans faille, malgré leur fascinante capacité à se fondre dans les pays d'accueil. Si le sentiment national existe, il est donc difficile à cerner.
Il ne faut également pas oublier que le Liban est un petit pays sur lequel cohabitent 18 communautés de confessions différentes (Chrétiens maronites, catholiques grecs, grecs orthodoxes, musulmans chiites, druzes…). La guerre les a éloigné et déchiré entre elles. Il y a eu beaucoup de déplacés d'une région à l'autre si bien que chaque confession se retrouvait cloisonné dans un territoire donné. Aujourd'hui, le dialogue s'installe entre ces communautés grâce à l'initiative de certaines personnes (voir article ci-dessous), et surtout grâce aux cellulaires qui collent littéralement à l'oreille de tout libanais digne de l'être. Que vous soyez au cinéma ou sur les pistes de ski, les sonneries vont bon train!
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Bonne année 1999, entourés de nos amis libanais, Mirna, Lea, Arze, Maria, Eddy et Rita. |
Après un long séjour à Beyrouth, nous partons vers le Nord du pays. Nous longeons la côte et passons la magnifique baie de Jounié. De la montagne la vue est splendide et Notre Dame du Liban veille sur le pays du haut de son rocher. Un peu plus loin, la ville de Byblos témoigne du riche passé de la région. C'est là que pour la première fois, l'homme conçoit un alphabet. Puis après un petit slalom sur la route, nous arrivons à Tripoli. Son nom vient de la confédération de trois citées phéniciennes qui y étaient établies au 4ème siècle avant J-C (Tyr, Sidon et Arados). Tripoli a longtemps été un port de commerce et un centre intellectuel attirant de nombreux penseurs. Nous y visitons la forteresse Saint-Gilles, construite par Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, en 1099. Il servait de base aux attaques des croisés. Perchée sur une colline, le château domine la ville et la mer… Les stratèges se trompent rarement de site !
La grande mosquée, elle, offre une leçon de mesure et d'harmonie. Nous sommes impressionnés car c'est la première fois que nous pénétrons dans une mosquée. Nous nous attardons ensuite dans le souk, orientés par Carine et Ibrahim, amis rencontrés à Beyrouth et guides le temps d'une journée. On y retrouve l'agitation habituelle et les petits métiers des marchés méditerranéen que l'on avait quitté depuis le Maroc. Nous sentons que la boucle est presque bouclée...
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La forêt de cèdres dont certains sont trimillénaires!! |
Si la reconstruction peut-être prise comme une façade, le Liban a le regard tourné vers l'avenir et la foi de sa jeunesse est un signe tangible d'espérance. Ce séjour restera comme l'un des plus intenses et les relations tissées avec quelques Libanais ne sont pas près de s'éteindre. Jean-Paul II a bien résumé ce qui se passe actuellement dans ce petit Etat : " le Liban, plus qu'un pays, c'est un message ". Car c'est un pays unique dont la raison d'être et la richesse est la coexistence de plusieurs communautés. Pour tous les habitants de cette terre, faire vivre le Liban est un défi commun qui a rôle d'exemple pour l'humanité.
Suite du Liban à la prochaine édition…
Nous avons pris rendez-vous avec l'association offre-joie, créée en 1985, dont le but est précisément d'ouvrir les jeunes les uns aux les autres. A l'initiative de cette association, on trouve des libanais de différentes confessions. Qu'ils soient musulmans ou chrétiens, peu importe, ils sont tous libanais et ont le désir de cohabiter sur cette même terre. Ainsi, offre-joie réuni régulièrement des jeunes de toutes confessions et leur proposent des activités. Le principe est de mélanger les jeunes lors de ces sorties et que d'une manière générale les communautés sortent de leur isolement. Il existe un statut officiel de l'association, mais pas de budget, ni de bureau. Leur outil de travail est une liste d'adhérents, qu'ils convoquent pour les activités. Ce dimanche, nous avons rendez-vous dans Beyrouth pour un rassemblement de l'association. Une cinquantaine de jeunes écoutent les dirigeants expliquer l'activité du jour. Des petits groupes seront constitués et chacun ira distribuer des pulls dans les différentes prisons libanaises. Le but est avant tout de faire rencontrer les jeunes.
Nous partons avec Paul, l'un des fondateurs de l'association. Il nous explique les autres activités proposées par offre-joie. Que ce soit des camps l'été ou des marches pour la paix (pendant la guerre), tout est bon pour ouvrir ces jeunes les uns aux autres. Un des autres fondateurs nous confie que leur message est avant tout un message d'espérance : “Nous croyons que les communautés peuvent cohabiter pacifiquement au Liban et nous travaillons dans ce but”. En allant distribuer des pulls aux prisonniers de la prison de Byblos, Sam, musulman, étudiant en informatique, nous explique ce que les activités avec offre-joie ont changé pour lui : “Vous savez, j'ai grandi dans la méfiance du Christianisme. Pour moi, c'était l'ennemi. Offre-joie a changé mon regard, je me suis aperçu que les chrétiens avaient eux aussi une foi et que nous n'étions pas si différents.” Au sein de la prison, les détenus voient l'arrivée de ces jeunes comme un rayon de soleil. Pour eux, l'important, plus que les pulls offerts, c'est le fait que l'on pense à eux. Une journée bien remplie pendant laquelle des jeunes s'ouvrent au dialogue et apportent un peu de chaleur à des prisonniers. Offre-joie porte finalement bien son nom.
Le père Jean Marie rencontré durant le WE ENDJ, nous parle de l'espérance qui anime certaines personnes malgré un handicap terrible qui leur ôte tout espoir de guérison. Il s'est ainsi lié d'amitié avec Nabil Daoud, docteur en médecine, atteint soudainement d'une paralysie générale. Il nous parle de son ami avec tant d'admiration que nous lui demandons s'il peut nous le présenter...
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Nabil ne peut communiquer qu'avec ses paupières et son pouce, mais rayonne d'une présence extraordinaire. |
Ne pouvant pas parler, Nabil a mis au point un autre moyen de communication qui nous impressionne par son efficacité et sa simplicité. Il a divisé l'alphabet en 4 lignes de 6 à 7 lettres. Démonstration : le père Jean-Marie lui demande: "première ligne?", Nabil répond "Non" en levant les sourcils. "Deuxième ligne?". "Non". "Troisième?". Nabil répond oui en clignant des yeux. "N?, O?, P?, Q?", Clignement des yeux : "Oui". La première lettre est donc "Q". Par déduction Jean Marie demande? "Que?, Qui?, Quel?..." Oui. En deux minutes, nous découvrons la question que Nabil veut nous poser : Quelles études avons nous fait? Nous parlerons également des raisons profondes de notre projet. Nabil nous explique l'une des nouveautés sur les photos numériques et nous montre comment il utilise l'ordinateur, son deuxième moyen de communication, avec lequel il a notamment traduit 4 livres de théologie.
Nabil ne peut manipuler l'ordinateur qu'avec un seul doigt : son pouce. Il peut ainsi cliquer sur une souris spéciale. Le curseur défile sur l'écran et sur les menus. Etape par étape, Nabil accède à chaque fonction de son ordinateur. Nous surfons sur Internet et nous lui présentons notre site. Il nous certifie qu'il nous répondra si nous lui envoyons un E-mail.
Nous sommes impressionnés par son regard si parlant et par son témoignage. Nabil, n'a pas l'espoir de retrouver ses facultés mais l'espérance le fait vivre. Quand il n'y a plus d'espoir, il y a l'espérance. C'est après quelques "douceurs" (pâtisseries Libanaises) apportées par sa sœur que nous devons nous quitter. Mais avant de partir, nous brûlons de poser à Nabil une dernière question : "Nabil, qu'est-ce qui te donne ce courage, cette bonne humeur (il rigole volontiers), cette détermination?" Nabil nous répond: "F, O, R, C, E, Force, D, I, V, I, N, E, Divine, Force Divine!"
Au Liban, fin décembre, un missile israélien détruit " par mégarde " une petite ferme occupée d'une femme et de ses cinq enfants. Succombant après d'atroces brûlures, il n'y a aucun survivant. Aucun écho sur cet événement dans les médias occidentaux. Une semaine plus tard les médias relatent une riposte israélienne sur une antenne du Hezbollah, suite à un tir d'obus en provenance du sud Liban. Il ont tout simplement oublié de rappeler que le tir d'obus était une riposte à ce massacre inutile.
Régulièrement des vols d'avions israélien viennent survoler Beyrouth à très basse altitude, provoquant des bris de glace. Pourquoi ?
Et ce n'est que quelques exemples parmi tant d'autres ! !
Nous avons été scandalisés par la désinformation flagrante et quasi systématique qui règne en occident, et qui diffuse une fausse image des pays arabes et contribue au climat d'instabilité au Proche-Orient.
Israël est trop souvent présenté comme la victime dans une situation nettement plus complexe, dans laquelle Israël comme ses voisins arabes, a sa part de responsabilité. Cette désinformation insidieuse développe une image très négative des pays arabes dans les opinions occidentales, et le raccourci arabe = islam = intégrisme = terrorisme devient malheureusement un lieu commun. D'autre part, cette désinformation contribue à proposer aux opinions arabes l'image d'un occident résolu à soutenir Israël au prix des pires injustices. C'est également l'une des raisons qui explique la poussée de groupes islamistes exaspérés et révoltés par cet état de fait, près à tout pour rétablir la justice, et qui obtiennent alors un suffrage important auprès d'une population réceptive.
Quand pourrons nous enfin compter sur une information objective, dépourvue d'interprétations partisanes et dégagée de la pression de nombreux lobby ?
Aujourd'hui, même si l'on sent un réel désir de vie et de cohabitation pacifique, il y a de grandes blessures entre chrétiens et musulmans, et le dialogue entre les communautés est un problème majeur et un enjeu crucial pour l'avenir du Liban. Sa richesse, c'est la multitude de communautés et de confessions qui coexistent sur une même terre. Le Liban ne peut vivre sans l'une de ces communautés. Il faut donc apprendre ou réapprendre à vivre ensemble, à se connaître, à faire tomber les peurs et les préjugés. Mais c'est un chantier colossal, une œuvre presque impossible, si Dieu et Allah ne s'y mettent pas à deux !!
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Ouissam, Hector, Marlène, Louna et Rita, par les liens très forts qui les unissent, nous ont montré que le dialogue et la vie entre chrétiens et musulmans était possible et représentait l'avenir du Liban. |
Louna est musulmane, et vient du sud Liban :
" Je n'ai pas été directement affectée par la guerre, car je vivais au Koweit, mais à mon retour au Liban, j'ai été marquée de voir que chaque confession vivait dans des zones géographiques séparée. J'ai alors décidé de participer à un séminaire de dialogue proposé par l'Institut d'Etudes Islamo Chrétien. A travers ce dialogue, j'ai pris conscience que chaque libanais avait les mêmes soucis, et que nous devions nous rassembler pour reconstruire notre pays et travailler pour le respect mutuel en tant que personnes puis en tant que libanais. Mais ce dialogue est un véritable défi, certains milieux chrétiens et musulmans refusent cette ouverture. "
Marlène est chrétienne, mariée avec une petite fille qu'elle a appelé Louna, du nom de son amie musulmane :
" Je me suis réfugié à Beyrouth Est au début de la guerre, et notre maison, à Beyrouth Ouest a été pillée par des musulmans. Cet événement ajouté à la désinformation médiatique m'a poussé à rendre les musulmans responsables de tous nos malheurs. Peu à peu, grâce au dialogue que nous avons établit entre nous j'ai pu passer du refus total de l'autre à une acceptation progressive. "
Rita est chrétienne, durant la guerre, elle a été déplacée d'une région " mixte " où elle habitait, vers une région chrétienne :
" Je vivais un refus total de l'autre, un fanatisme anti-musulman. Je faisais une confusion totale entre la politique, ma religion et ma foi. Pour moi, le choc a été de voir les chrétiens s'affronter durant les dernières années de la guerre. Je me suis alors demandé qu'est-ce que c'est qu'être chrétien ? J'ai alors ressenti le désir de mieux connaître la véritable foi chrétienne. Puis j'ai commencé à travailler dans une région mixte, pour le retour des déplacés, mais mes relations professionnelles avec les musulmans restaient très fragiles, empreintes de préjugés et de généralisations. C'est dans le cadre du séminaire islamo chrétien que j'ai eu le désir de parler des choses concrètes de notre vie quotidienne, sans aborder de thèmes dogmatiques qui nous divisent. Je ne comprenais pas le refus des chrétiens par les musulmans, car pour moi, le christianisme propose une base d'amour acceptable par tous les hommes, et par ce refus, les musulmans m'apparaissaient comme fanatiques. Alors le refus des musulmans par les chrétiens me semblait être une réaction normale face à ceux qui ne nous acceptaient pas.
Grâce à nos rencontres régulières, j'ai peu à peu pris conscience que j'avais parfois plus de point commun avec certains musulmans qu'avec d'autres chrétiens. Je me suis rendu compte que les musulmans me refusaient car ils rejettent l'image négative des chrétiens pendant la guerre. Nous avons eu une démarche visant à sortir des préjugés, de la généralisation et des peurs de chacun d'entre nous, fruits de la guerre et des médias. Peu à peu j'ai découvert la paix intérieure, et j'ai pu regarder l'autre en tant qu'être, distinct de sa communauté d'appartenance. On ne peux pas vivre sa foi en dehors de l'autre, je ne peux plus dire " je " sans dire " tu ". "
Il y a aussi Ouissam, qui est musulman chiite et vient de devenir Imam, et Hector, le mari de Marlène, qui est chrétien. Ils se rencontrent depuis 3 ans et peu à peu ont réussi à créer des liens d'amitiés extrêmement forts, et un groupe de dialogue et de partage d'une transparence inouïe quand on pense que tout les sépare. Ils représentent une véritable espérance pour le Liban, en montrant une voie, en montrant que ce dialogue est possible, qu'ils l'ont vécu. Mais cette expérience est le fruit d'une longue découverte mutuelle et d'une ouverture d'esprit extraordinaire de la part de chacun d'entre eux.