Journal du 20 février


Roumanie II



Sommaire

    Le contexte     Le journal de route     Point Coeur     Un pari réussi

    L'accueil roumain     Portraits     Pour conclure     La photo de la semaine




Carte

                          Roumanie




Le contexte roumain

C'est en 1877 que la Roumanie déclare son indépendance et échappe au contrôle turc. Les deux guerres mondiales virent le pays s'agrandir ou se séparer de certains territoires. En 1947, l'occupation soviétique obligea le roi Michel à abdiquer, et une république fut déclarée. Dans les années 80, sous la dictature de Ceaucescu, le pays connut de grosses pénuries de produits essentiels. Des insurrections éclatèrent en 1989, un coup d'état eu lieu et Ceaucescu fut exécuté. Le nouveau gouvernement qui suivit, constitué principalement d'anciens communistes, fit preuve de son incapacité et fut remplacé lors des élections de 1996 par un gouvernement de coalition.
Anecdote :
Le palais du peuple est le deuxième bâtiment le plus grand du monde après le Pentagone.

Géographie :
La Roumanie a une superficie de 237 000 km² (moins de la moitié de la France). Les Carpates, au sud desquelles s'étendent des plaines, occupent le centre et le nord de la Roumanie. Le Danube, qui longe la frontière avec la Bulgarie, forme un delta dans la partie est du pays avant de se jeter dans la mer Noire.
Economie :
Le passage à une économie de marché accuse un certain retard en Roumanie. Malgré les obstacles bureaucratiques, et une certaine paralysie politique, les entreprises privées se développent et le pays attire de grands investisseurs étrangers. La France est le premier investisseur étranger. Mais un véritable apport de capitaux est nécessaire pour déclencher une croissance économique plus soutenue.
Religion / population:
La population est constituée à 90 % de roumains, 8% de hongrois et une minorité Tsigane. 95% des roumains sont orthodoxes. La Roumanie est le seul pays d'Europe centrale qui soit d'origine latine : on y parle roumain et c'est le pays le plus francophone de cette zone.








Journal de route


De Bucarest à Cluj.



Le voyage en province commence mal…

Pris en main par Linda, nous quittons Bucarest pour Sinaia. Cette petite ville d'altitude est la station de ski huppée de Roumanie. Les prix s'en ressentent, ce qui nous étonne tout de même dans un pays comme celui-ci. A la recherche de l'hôtel le moins cher de la ville (à quelques degrés en dessous de 0, nous préférons laisser notre tente dans le coffre), nous atterrissons dans une charmante pension. Nous ne parlons pas roumain, le gérant, un rien nerveux, ne parle ni français ni anglais… Bref, on a du mal à se comprendre. Sans doute échaudé par une dure journée, et après un début de bagarre, celui-ci nous renvoie de l'hôtel parce que nous voulions présenter notre passeport et payer une fois installés dans la chambre ! La notion de clientèle n'est pas encore très développée, surtout dans les hôtels étatiques, où les gains sont les mêmes pour le gérant, qu'il y aie des clients ou non. Après quelques transactions, Christian serre la main du tenancier et nous finissons par retrouver notre chambre. Heureusement, car il fait vraiment très froid dehors et une journée de voyage en Trabant implique par définition une bonne nuit de repos.



Les beautés de Sinaia.

Dans le cloître du magnifique monastère de Sinaïa.
Le lendemain, nous allons visiter un monastère orthodoxe. Coincé entre les montagnes et les interminables forêts de sapin, blotti sous une épaisse couche de neige, nous y ressentons une naturelle quiétude. A l'intérieur de l'église, des roumains viennent prier devant les icônes représentant le Christ, la Vierge Marie et des saints. Cependant, nous ne pouvons entrer dans le cœur de l'église. Caché derrière une cloison dorée et richement décorée, seuls les prêtres sont autorisés à pénétrer dans ce périmètre pour y célébrer le mystère de la consécration. Nous assistons à l'office dominical et découvrons le rite orthodoxe. Divisés en deux temps, les 3 heures de cérémonie commencent par l'office des matines puis vient la messe. La superbe chorale résonne dans l'église, cependant, aucun instrument ne vient accompagner les chants car les orthodoxes considèrent que le plus bel instrument pour glorifier Dieu est la voix humaine. Pendant que les prêtres célèbrent l'eucharistie, les fidèles vont embrasser des icônes, entrent et sortent dans l'église sans chanter ni répondre aux paroles des prêtres. Nous sommes assez surpris. En réalité, les prêtres disent la messe tandis que les fidèles y participent " intérieurement ", d'où une impression de passivité lorsqu'on ignore le rite orthodoxe. Ceci explique le mouvement de va et vient dans l'église, car il est dur de rester trois heures à regarder les prêtres officier ou à écouter chanter la chorale !
Nous allons ensuite visiter l'une des fiertés de Sinaia : ses deux châteaux, le Peles et le Pélisor (petit palais). Résidence des rois de Roumanie, ils ont également servi de maison de repos aux hauts dignitaires du parti. Perdus au milieu des sapins, éblouis par les reflets des rayons solaires sur la neige, on les croirait tout droit sortis d'un conte. En revanche l'intérieur du Pélisor, décoré dans le style " art nouveau ", n'a pas déchaîné notre enthousiasme!



Et Linda dans tout ça ?

Les yeux encore grisés par ces paysages montagneux, nous roulons vers le centre de la Transylvannie. Linda doit d'abord nous amener jusqu'à Brasov. Mais elle souffre, et nous avec : le vent glacé mêlé au froid sec s'infiltre dans la voiture et, le chauffage ne fonctionnant évidemment pas, nous ressemblons à des glaçons. A l'affût du moindre bruit suspect dans le moteur, nous oublions presque de contempler la beauté des paysages. Nous arrivons finalement à Brasov sans encombre et sommes surpris par la bravoure de Linda.



A Brasov, ville historique, nous rencontrons Gheorghe, l'un des leaders de la révolte du 15 Novembre…

Nous faisons nos premiers pas dans la Roumanie provinciale, bien loin de l'agitation de Bucarest. Ce calme n'est que sous-jacent, car Brasov a vu naître la première contestation du régime de Ceaucescu. Le 15 Novembre 1987, une fronde éclate. Nous avons la chance de rencontrer Gheorghe, l'un des meneurs syndicaux, qui nous parle de ces instants historiques (voir article ci-dessous). Invités chez lui, nous goûtons à l'hospitalité roumaine, un réel coup de cœur (voir article ci-dessous) et parlons du syndicat du 15 Novembre, créé à la suite du mouvement. Il tient ensuite à nous accompagner dans Brasov. Dans le quartier du Schei, la ville, par ses rues calmes et pavées, revêt une atmosphère villageoise. Nous sommes séduits par les jolies maisons reléguant au second rang les immeubles uniformes. Voilà une cité à taille humaine que l'on sent chargée d'histoire. Nous nous éloignons ensuite de Brasov pour aller à la rencontre d'une autre histoire, ou plutôt d'une légende : celle de Dracula. Seulement en cours de route, Linda, effrayée par cette visite, nous lâche : premiers caprices. Tout penauds de répondre à l'hospitalité de Gheorghe par une panne, nous sommes condamnés à pousser Linda, perdus au milieu des plaines enneigées. Notre journée se termine donc sur une fausse note.



A Sibiu, nous logeons chez des roumains pour quelques jours…

Le lendemain, après avoir emmené Linda chez le garagiste, nous allons jeter un coup d'œil au château de Dracula. Une légende qui énerve bien des roumains, d'autant plus que le château ressemble aujourd'hui à un bloc de béton. Déçus, nous roulons vers Sibiu, notre prochaine étape. Nous sommes reçus dans une famille roumaine, grâce aux contacts inépuisables de Christian. C'est une joie profonde de pouvoir partager la vie des Blaga pendant quelques jours. Les immersions sont des moments si riches humainement ! Nous recevons un accueil hors du commun. Tanti Blaga (" madame Blaga "), Simona, Joanna et ses amies tiennent à ce que notre séjour à Sibiu soit une réussite. Quant à nous, nous savourons tout simplement la possibilité de partager nos journées, nos peines et nos joies avec nos hôtes. Peu importe la destination ou l'activité, nous découvrons la Roumanie de l'intérieur, pour compléter nos rencontres trop éphémères.



Nous savourons le partage de ces quelques jours avec nos amies roumaines…

Linda est bloquée sous la neige à Sibiu, alors nous profitons de l'hospitalité de Simona.
A peine le temps de nous poser et nous sommes entraînés par une horde de roumaines vers une patinoire en plein air. Comme nous ne savons pas patiner, après avoir bien ri de nos premiers pas, elles nous prennent en main… Nous profitons de la situation pour nous laisser entraîner par quelques unes d'entre elles et prendre des cours particuliers. Ensuite, direction la piscine. Après le corps, l'esprit : nous assistons à un concert de musique classique. La salle est comble. De 7 à 77 ans, les roumains ont une vie culturelle développée. De même dans certaines habitations, nous avons été surpris de découvrir des bibliothèques garnies. Cela témoigne d'un peuple cultivé et raffiné, qui a engendré quelques grands poètes ou philosophes. Pendant ces quelques jours, nous découvrons dans la jeunesse roumaine une joie de s'amuser tout en faisant des activités simples. Nous allons par exemple passer une journée dans la montagne, sans but précis, si ce n'est celui d'être ensembles au milieu de la nature. Ils savent profiter de ces moments de partage chaleureux, bien loin du besoin de consommer pour s'amuser.



Linda nous cause bien des soucis…

Et Linda dans tout ça ? Encore chez le garagiste, car entre Brasov et Sibiu, elle a recommencé ses caprices et avec les chutes de neiges importantes, elle va en voir de toutes les couleurs. Nous dégotons alors au fin fond d'un garage graisseux le spécialiste ès Trabant de la région. Dans sa jeunesse, il a même été champion de rallyes…en Trabant. Nous partons donc vers Cluj, notre dernière étape roumaine, dans une Linda flambante neuve, prête à défiler sur les 160 kms que nous avons à parcourir. A peine repartie, et encore des caprices. Mais là, la situation est moins drôle. La route est verglacée et balayée par un vent du diable. Avec une température en dessous de 0, sans chauffage, la buée gèle sur les vitres et nous ne voyons rien. Nous distinguons à peine la route. Tout à coup, bruit de fureur, notre capot, mal rattaché après une vérification du moteur, se relève : nous sommes aveuglés. Heureusement, il n'y avait personne en face ! Nous sommes chanceux, mais pour combien de temps ? A 20 kms de Cluj, le moteur ne répond plus. Nous poussons la voiture jusqu'à un café pour demander de l'aide. Nous y arrivons congelés. Manque de chance, c'est le rendez-vous des amateurs de Palinka. Visiblement, vu l'état d'ébriété, la journée a débuté tôt le matin. Nous avons le droit à des " I love you ", des rires parfumés à la bière… Impossible de s'en dépêtrer. Et là, coup de chance, en poussant Linda, elle redémarre. En revanche, elle a de graves problèmes, car on avance à 20 km/h (même pour une Trabant, c'est pas normal). Nous passons une côte, une deuxième, mais la troisième, à 5 kms de Cluj, nous est fatale. Linda cède. C'était trop lui demander. Nous la laissons sur place et un roumain nous accompagne en voiture jusque chez Christina, une amie rencontrée à Sibiu, chez qui nous logeons.



Cluj, notre dernière étape roumaine…

Après cette journée harassante, nous nous endormons sans demander notre reste. Le lendemain, nous rencontrons Tudor, un roumain engagé en politique. C'est l'occasion de lui poser des questions sur son pays et notamment sur la situation actuelle. Grâce à Christina, nous découvrons cette ville étudiante. Au cœur de la Transylvannie, Cluj est d'un charme paisible. Des belles maisons bourgeoises, des bâtiments sculptés, la cathédrale et les multiples places ornées de statues lui donnent une âme. Une fois de plus, nous allons être abasourdis par l'accueil des roumains. En tous cas, c'est fou comme nous commençons à profondément nous attacher au pays, grisés par les contacts faciles avec les Roumains. La proximité culturelle favorisant les échanges, nous avons l'impression d'avoir vécu des moments beaucoup plus intenses dans ce pays. Nous en gardons un souvenir très vivant et profond. Seule ombre au tableau, nous occuperons la majeure partie de notre temps à Cluj plongés dans les entrailles de Linda. Nous l'aimons beaucoup, mais elle commence à prendre beaucoup de place dans notre vie. Et en plus, en tant que femme, elle coûte chère. Jusqu'à quand tiendrons-nous ?




Point Coeur


Une présence dans les quartiers pauvres



Depuis 11 mois, nous croisons des hommes et des femmes qui créent des écoles, qui soignent ou qui prêtent de l'argent, des hommes et des femmes qui ont des actions bien concrètes et qui " font " plein de choses. Les points cœur, eux, ne " font " rien… Non, ils n'enseignent ni ne bâtissent, ils n'organisent rien. Ils sont juste là au milieu des plus pauvres, des plus seuls, pour être une présence, un accueil, une écoute. Il est vrai que bien souvent, les associations sont débordées par leur travail et leur emploi du temps : ils n'ont souvent plus le temps d'être attentif ou présent à ceux qu'ils veulent servir.
Il existe une trentaine de " Point Cœur " dans le monde, des groupes de quelques jeunes, installés dans un quartier défavorisé. Ces volontaires s'engagent pour 14 mois minimum.

Nous passons une journée avec le Point Cœur de Bucarest. Aujourd'hui, comme chaque semaine, ils vont visiter les enfants malades de l'hôpital Boudimex. L'hôpital est grand, les murs sont gris mais la vie s'active. Au septième étage, nous accompagnons Bénédicte et Frédéric qui retrouvent Alexandru et Goran. Les jeunes de Point Cœur viennent voir tout spécialement ceux qui ont peu de visites, ceux qui sont seuls. Il faut savoir que dans les hôpitaux roumains, les familles s'occupent des malades, c'est pour cela que l'on voit les mères des enfants vivre et dormir dans leur chambre. Nous jouons avec les enfants, Bénédicte discute avec eux, forte de ses deux mois de roumain. Certains enfants ne sont pas en mesure d'exprimer leur joie, mais nous sommes touchés par le regard que les jeunes de Point Cœur posent sur eux… un regard d'amour.
" Le plus dur quand on arrive dans une salle, nous dit Blandine, c'est de prendre un enfant en cherchant à faire connaissance, sans se laisser disperser par les besoins des autres. Il faut rester humble et se consacrer simplement à donner de la joie sans penser tout révolutionner dans l'hôpital."

Dans cet hôpital, on se croirait dans une grande famille. Nous sommes invités à dîner par les infirmières et quelques malades plus vaillants qui participent à la préparation du repas. Nous sommes touchés par Maria, une jeune patiente qui donne à manger aux enfants.



Du canal aux HLM

Chaque semaine, les " amis des enfants " vont leur rendre visite dans le " canal ". Guillaume nous raconte une expérience qui l'a marqué : " Nous voulions fêter l'anniversaire de Costel. Nous l'avons retrouvé dans le " canal ", ces bouches d'égouts qui renferment des canalisation d'eau chaude dans lesquels habitent les enfants pour se protéger du froid. Toute la matinée, il a joué de la guitare, vous vous rendez compte, toute la matinée ! Nous sommes restés là, à écouter ce jeune homme, avec une jambe en moins, émerveillés par ses chants d'espérance et de foi, entourés par ces enfants qui s'usent petit à petit en respirant de la colle, en fumant, en buvant. Cet acte gratuit, ce moment musical nous a dévoilé que derrière cette misère apparente, leur cœur ne demande qu'à vivre. Ce jour là, il m'a apporté beaucoup plus que je ne pensais lui donner. "

Une partie de leur apostolat consiste à rendre visite aux familles de leur quartier. Guillaume nous explique :
" Au fur et à mesure des visite, nous sommes amenés à entrer dans l'intimité des gens ; par des discussions, une écoute attentive, nous accueillons les problèmes des familles souvent désunies, où le père boit, bat sa femme, ses enfants. Les enfants sont livrés à eux même. Tous les jours nous portons ces détresses d'enfants isolés qui viennent crier, des femmes souvent seules à supporter les souffrances de toutes leur famille. C'est donc pour nous un combat constant : il s'agit à la fois d'accueillir cette souffrance et de vivre dans l'espérance. Bien des fois, j'ai l'impression de ne rien apporter aux personnes que nous rencontrons parce que je reste dans une relation d'efficacité, j'attends des résultats immédiats : mais est-ce à moi de juger de la qualité de ma présence ? " Ils sèment sans attendre systématiquement de voir les fruits.

" Au début, je pensais que je ferai des choses extraordinaires, puis, j'ai réalisé qu'aimer sans compter, cela ne passait pas forcément par des actes extraordinaires : j'ai pris conscience que j'associais aimer avec " folie des grandeurs ". Nous préférons des choses difficiles mais qui flattent notre orgueil à des choses faciles et humiliantes. Finalement, aimer commence par des gestes simples de la vie quotidienne… "



Pourquoi avoir choisi Point Cœur et pas une autre association ?

L'équipe de Point Coeur au complet pour accomplir une mission de présence et de prière pas toujours facile.
Frédéric répond sans hésiter : " Je n'ai pas choisi. J'ai répondu à un appel, c'est tout. Celui de la vierge Marie. Voilà quelques années que je vis au milieu des plus miséreux. Ici, en Roumanie, j'ai l'impression que les blessures causées par le communisme sont si profondes qu'on atteint jamais le fond. Et si je ne m'appuyais pas sur l'amour et la miséricorde du Christ, si je ne plaçais pas mon espérance en lui, je serais aigri. C'est humain, quand on vit au milieu d'une telle misère pendant si longtemps, croyez-moi, comment voulez-vous ne pas devenir aigri ? "
Mais face à tant de misère, qu'est-ce qui les fait tenir ?

La vocation de point cœur est humaine ET spirituelle. La prière occupe une place primordiale dans leur démarche. La prière est un moment de silence, de cœur à cœur avec Dieu, pour se ressourcer et se décharger des tensions de la journée. Cela part d'un principe simple : pour vouloir donner autant d'amour, il faut bien le prendre quelque part, et la prière est une source inépuisable. Lever 6h30, laudes, messe et adoration, complies et vêpres, trois heures de prière quotidienne font partie des règles auxquels les volontaires s'engagent. Parfois, les situations qu'ils voient semblent sans issue, mais leur foi leur donne une espérance : " le tout est d'espérer dans la désespérance, d'espérer contre toute espérance " Rm 4,18.

Nous souhaitons à Frédéric, Anna, Bénédicte, Blandine et Guillaume de continuer à espérer contre toute espérance. Notre passage parmi eux nous a profondément marqué. Leur témoignage reste gravé dans nos cœurs.




Entreprendre en Roumanie


Euro Méditerrannée Consulting & Trading SRL



Parmi nos rencontres, nous recherchons particulièrement les entrepreneurs. Ils nous rappellent que l'optimisme paye et que se lancer dans la création d'une entreprise est une aventure humaine à la portée de tous. A Bucarest, nous rencontrons Michaël, un jeune français débarqué dans le pays 4 ans plus tôt pour une coopération chez Bouygues. Il est aujourd'hui à la tête d'un cabinet conseillant les entreprises voulant s'implanter en Roumanie.
Pendant sa coopération, Michaël acquiert une bonne connaissance du pays. Les derniers mois, pendant le week-end, il fait des études de marché pour un ami, un promoteur de centres commerciaux. Ce dernier, satisfait du travail, lui propose un contrat de 6 mois une fois son service militaire terminé. L'occasion faisant le larron, les pierres roulantes amassant tout de même un peu de mousse et les cruches allant à l'eau ne se cassant pas toujours, Michaël profite de ce premier client pour créer tout naturellement une entreprise ! " Les débuts ont été difficiles, il faut savoir faire des sacrifices et ne pas compter ses heures. Mais dans le conseil, lorsque vous débutez, vous avez le droit à une certaine prime à la jeunesse… Vous êtes aidé, guidé, mais aussi très compétitif sur les tarifs. Des atouts qui permettent de donner l'impulsion nécessaire à l'entreprise."

Michaël emploie aujourd'hui plusieurs collaborateurs, travaille avec un cabinet d'ingénierie espagnol et un cabinet d'avocat de Bucarest. Si au début ses clients arrivaient par le bouche à oreille et un réseau de relations, il peut aujourd'hui profiter d'une réputation acquise à coup d'heures de travail et de méthodes : " Durant mes précédents stages, j'ai appris la rigueur nécessaire pour faire un rapport, mais aussi à reconnaître les avantages et les inconvénients dans un dossier. C'est capital dans ce genre de métier. Pour aider au maximum chaque client, je continue à l'assister dans son implantation un an après la " fin " du contrat. "

Et le travail avec les roumains… ?
" J'ai un réel plaisir à travailler avec eux. Mes collaborateurs sont très polyvalents. Comme beaucoup de roumains, ils parlent plusieurs langues et sont cultivés. Je regrette juste leur manque de synthèse. On leur a trop enseigné à apprendre par cœur. Mais vu les capacités de chacun, leur progrès est une question de temps. Vraiment, ce pays a un potentiel humain inexploité. "

Ta vision sur la Roumanie de demain… ?
" Je suis optimiste même si aucun élément rationnel ne me permet de l'être. Je vois cependant des poids lourds de l'industrie occidentale s'implanter ici et drainer à chaque fois de nombreux sous-traitants. Cela permettrait à terme de recréer un tissu industriel. Mais attention, qu'il ne fasse pas comme d'autres pays de l'Est, en se vendant aux étrangers pour s'en sortir…
Au niveau politique, je considère qu'ils apprennent la démocratie et qu'ils ont la volonté de réformer le pays, ce qui est l'essentiel. "
Michaël a beaucoup d'espoir pour la Roumanie, que ce soit au niveau politique ou économique.




Coup de coeur


L'accueil roumain



L'accueil reçu en Roumanie fut extraordinaire, à l'image de cette mémorable soirée à la patinoire.
Notre coup de cœur dans ce pays sera pour l'accueil des roumains. A Sibiu par exemple, dans l'appartement des Blaga, la moitié de la famille est partie loger chez des voisins pour nous laisser tous les trois ensembles dans les deux seules chambres. Nous sommes un peu gênés par tant d'attention, mais ils sont si discrets et leur sens de l'accueil est si développé que nous nous sentons presque chez nous, oubliant quasiment le chamboulement que nous occasionnons. L'ambiance est joviale, il y a toujours des voisins qui passe tailler une bavette ou boire une suika. Tantie Blaga, la mère de famille nous gave d'excellents repas, à base de soupes de pommes de terre, de lard et de cochonnailles. "Aller, il faut manger, encore, vous avez faim, il faut prendre des forces, si vous ne mangez pas, ça veut dire que vous n'aimez pas !" Le problème, c'est qu'on n'a toujours pas compris combien il y avait de repas pour les roumains, 3, 4, 5 ? En tout cas, on a la graisse qu'il faut pour affronter l'hiver!
Chez Paul à Cluj, ce sera la même chose, à 5 dans une petite chambre, il y a toujours de la place pour accueillir les copains qui passent. Cristina s'occupait aussi de nous nourrir, à en mourir (de plaisir mais aussi de saturation !) " Je suis sûre que vous dites que vous n'avez plus faim parce que vous êtres trop polis, allez je vous en prie… " C'est mal nous connaître ! Paul laissera son blouson à Christian qui n'a pas renouvelé sa garde robe depuis l'été asiatique !

Une chose est sûre, les roumains peuvent être fiers de leur accueil, une qualité qui ne fait partie des statistiques officielle mais qui vaut tout l'or du monde…

De retour en France, serons nous à la hauteur pour les étrangers de passage ?




Portraits de la semaine




Gheorghe Iosif

A Brasov, nous sommes accueillis par un ouvrier ajusteur travaillant dans une usine de 10.000 ouvriers. Il a participé à la révolte du 15 novembre 87, deux ans avant la chute du régime Ceaucescu . Aujourd'hui, son syndicat milite pour la privatisation de l'usine.

" Le 14 novembre 1987, en plein communisme, l'équipe de nuit de l'atelier S440 a décidé de faire grève. Ca faisait 1 semaine que nous n'avions pas touché notre salaire et nous avions faim. La direction et les élus communistes sont venus, une partie des ouvriers a marché vers la maison du parti. C'était le jour des élections, un grand buffet était préparé pour les élus, alors que nous n'avions pas nos salaires et nos familles crevaient de faim. Nous avons brûlé les drapeaux communistes et entonnés des chants interdits comme " Réveille toi roumain…" Le lendemain, après un jugement sommaire, des interrogatoires et des tortures, 62 d'entre nous ont été condamnés à mort, en représailles. Même le directeur était d'accord ! Finalement, ils n'ont été " que " déportés en Moldavie. Aujourd'hui, l'ancien directeur est le patron d'une entreprise privée dans la même ville…"

"Nous étions la plus grande usine de camions et tracteurs, fabricant aussi des pièces pour le bloc des pays de l'Est. Aujourd'hui, l'activité a baissé car nous n'exportons plus que les tracteurs. Notre syndicat (qui porte le nom de cette révolte " le syndicat du 15 novembre ") est pour une privatisation de l'entreprise. Des négociations sont en cours avec Volvo et Scania. Cela va sans doute impliquer des licenciements, peut-être la moitié, mais de toute façons aujourd'hui nous perdons de l'argent. L'usine est un véritable mastodonte possédant des compétences mais mal géré. Nous voyons les limites de la privatisation, mais aujourd'hui, notre usine en a besoin. "



Daniela Dumbrava

Cette journaliste étudiante en théologie nous explique l'objectif de " l'Association des Etudiants Orthodoxe ". Dans un contexte où le tissu associatif est presque inexistant, car interdit pendant le communisme, certains jeunes veulent agir ensembles, à leur façon.

" On était croyant, mais en dehors de ça, il n'y avait rien. En plus, l'église est un peu trop théorique, alors on voulait que notre foi et notre amitié nous pousse à faire quelque chose de plus. Aujourd'hui, nous voulons encourager les étudiants à prendre contact avec des institutions sociales, orphelinats, asiles, hôpitaux… A Noël, les personnes âgées de l'asile voulaient parler avec nous de la mort. Nous avons commencé à parler de leur angoisse, puis, nous avons partagé notre histoire, nos difficultés à nous, les jeunes, mais aussi notre enthousiasme quand on prie ensembles. Nous avons fini par parler de la résurrection. Nous sentions que les personnes âgées étaient heureuses. Nous avons chanté et ce moment a été un moment très fort pour nous.
Je ne suis pas pessimiste car je peux faire ma vie comme je veux. Quand on croit en Dieu, on ne peut pas être pessimiste mais ça ne m'empêche pas d'avoir peur parfois. "



Le père Vasile et les jeunes des " Fondations pour un Monde Nouveau "

Le père Vasile est Orthodoxe, avec des jeunes roumains, il vont monté un Forum " Chercheurs de Sens " pour que les jeunes puissent vivre une expérience humaine et spirituelle. Prendre en main leur avenir, réapprendre à communiquer ensembles. Là encore, une initiative d'envergure peu commune…

Joanna : " Nous voulons prendre notre avenir en main, relire notre histoire, partager entre nous ce que nous pensons, réapprendre à communiquer en osant s'ouvrir dans un cœur à cœur avec les autres. Nous voulons réfléchir sur le sens de notre vie, pour ne pas se réveiller trop tard. Pour quoi sommes nous faits ? "

Simona : " Nous avons participé à un forum organisé en France par les " Fondations pour un monde nouveau ", une communauté charismatique catholique internationale. Pendant une semaine, nous étions 250 jeunes de 18 à 25 ans. Il y avait des enseignements, des partages en petit groupes, des intervenants (comme sœur Emmanuelle ou le fondateur d'une banque alimentaire) mais aussi des moments de détente : chants et sport. Avec le soutien des " Fondations pour un monde nouveau ", nous organisons un forum similaire cet été, avec 100 jeunes roumains. Nous pensons que les jeunes ont quelque chose à dire et nous devons le partager entre nous. Nous voulons aussi partager notre foi qui est essentielle pour nous. "

Le père Vasile : " Ce forum sera organisé par les jeunes, c'est aussi une occasion de les responsabiliser. Je me réjouis d'un rapprochement entre les " Fondations pour un Monde Nouveau " (catholique) et nous orthodoxes. Nous avons une façon différente d'exprimer notre foi, sur la forme, mais nous sommes très proches au niveau théologique. Il faut savoir qu'il existe des tensions entre l'église Orthodoxe et Gréco-catholique sur le plan historique : les églises de ces derniers avaient été confisquées par les communistes au profit des orthodoxes. Aujourd'hui, la restitution est parfois douloureuse.
Le charismatisme et l'oeucuménisme sont de toute façons une manière de s'ouvrir aux autres, on jugera l'arbre à ses fruits… "



Tudor Von Bar

Cet homme de 32 ans a créé sa propre entreprise pour importer des produits de haute technologie en Roumanie, et conseiller les investisseurs étrangers dans leur implantation. Il est par ailleurs directeur de cabinet à la commission des affaires étrangères du parti national paysan chrétien démocrate de Cluj Napoca. Actif et engagé, il nous a exposé ses espérances et ses craintes pour l'avenir de son pays.

" Je ne vote pas au parlement, mais j'aimerais participer davantage. Il y a ici un grand vide législatif, beaucoup de choses à faire. Le code pénal n'est pas adapté au droit occidental. Mon engagement politique et mon activité professionnelle sont complémentaires et très importantes pour moi. Au contact du parlement, j'apprend beaucoup, et je suis très au courant de toutes les évolutions législatives, ce qui est capital pour mon business. D'autres part, ma connaissance du terrain, des réalités économiques et de la situation à l'étranger me donnent une vision plus complète pour remplir mon rôle au sein du parti. "
" Il est vrai que le niveau de la Roumanie s'abaisse, mais depuis que nous sommes au pouvoir nous avons réussi à ralentir la chute, et nous devrions la juguler en juin, juillet 1999. C'est à dire qu'à partir de cette date il nous restera deux ans avant les prochaines élections pour relancer le pays de manière significative, et convaincre l'opinion. C'est un pari. Nous devons prendre des mesures très dures maintenant, c'est la seule solution.
Avec les affaires des mineurs, nous avons réussi à désamorcer un conflit majeur sans tirer un coup de feu. Je pense que c'est un excellent signal auprès de l'étranger quant à notre volonté politique et la stabilité de notre gouvernement. Mais si nous ne sommes pas aidés par l'Union Européenne, nous ne pouvons pas faire grand chose.
Pour conclure, je suis d'un optimisme réservé concernant l 'avenir de notre pays. Si nous réussissons notre pari politique et économique, en parvenant à conserver le soutien de la population, alors la Roumanie aura gagné. Mais si une majorité vote pour la gauche et le retour des communistes, alors le futur me paraît très sombre.
Nous avons besoin de temps, mais les roumains attendent tout, tout de suite. Le peuple roumain a été déçu, il nous faut maintenant lui donner un rêve. "




Pour conclure sur la Roumanie




Un mois en Roumanie mérite bien une petite conclusion, surtout après avoir rencontré tant de gens différents, d'avoir recueillis tant d'avis variés, voire opposés. Cette difficulté que nous avons eu à nous faire un avis, à comprendre pourquoi les oppositions étaient si marquées, les opinions si diverses reflète à la fois le malaise et la richesse d'un pays auquel nous nous sommes profondément attachés.

Bucarest fut notre première Roumanie. Et sans doute pas la meilleure. En effet, l'hiver, le froid et la grisaille ne sont pas ses meilleurs atours. Mais ce premier contact réservé s'est laissé apprivoiser peu à peu par le charme caché de la ville. Nous avons été frappé par cette destruction massive du communisme, ces constructions monoblocs sans âme, ces gigantesques ensembles bétonnés symboles d'un habitat moderne et équitable pour le glorieux travailleur roumain. Mais nous avons également été surpris par le nombre des édifices architecturaux, des lieux de cultes, des " vestiges " culturels dont la ville regorge. Et c'est seulement au hasard d'une démarche sans but que l'on découvre la face cachée de cette Roumanie de Bucarest. Le communisme n'a pas tout détruit ou bétonné, loin s'en faut, mais les artifices de l'occident poursuivent le processus néfaste. Les enseignes agressives, les Mac Do et la culture Pro TV développent la face artificielle qui dénature Bucarest et son âme.
Cette âme, bien vivante, on la flaire, on la palpe et elle nous éblouit dans ces villes de province que nous avons traversé. Brasov, Sibiu, Cluj, ces villes aux allures de village nous ont charmé. Chaque centre ville, chaque " vieille ville " a ses attraits, mais chacune, par son authenticité, ses petites maisons colorées, ses places, ruelles et courettes qui s'enchaînent dégagent la saveur sans prix d'une atmosphère villageoise. A la fois beau sans être grandiose, coquet sans être léché, plein d'espaces mais à taille humaine. On s'y sent bien, comme chez soi.
D'une ville à l'autre, de bourgades en hameaux, nous avons parcourus avec Linda de grands espaces au caractère bien trempé. D'immenses plaines enneigées où les bourrasques de vent balaient d'un souffle de frêles congères, où l'on se sent perdu, éloigné de toute vie par la morsure aiguë et glacée de l'hiver. De sombres et mystérieuses forêts de résineux où vivent encore quelques ours, où au détour d'un sentier on se hâte vers la chaleur bienfaitrice d'un chalet isolé. Et toujours à l'horizon, où que porte nos regards, l'attrait des sommets qui dominent la Transylvanie.

Nicolas et Loïc avec Simona, Cristina, Joanna et Silvia.
Mais cette âme, nous l'avons surtout découverte au contacts des roumains. Si l'hiver et les difficulté quotidiennes les rendent parfois un peu bourrus, les roumains nous ont conquis par leur gentillesse, leur désir constant de nous aider, de nous guider. Leur simplicité rend le contact facile. L'accueil et la chaleur de ce peuple latin nous rapproche et sans s'en apercevoir , presque imperceptiblement, nous nous sommes profondément attachés à chacun d'entre eux. Le peuple roumain est profondément pacifique, et cela se sent dans chaque relation quotidienne.
Mais cette sympathie qu'ils dégagent, cette manière de prendre la vie comme elle vient a également ses revers. La fiabilité n'est pas leur fort, et nous avons pu nous en apercevoir à nos dépends. La dictature communiste a également laissé des traces profondes dans les comportements et certains ont perdu la fierté et la foi dans leur pays pourtant si riche. Les comportements individualistes se sont développés et la reconstruction du tissu relationnel et associatif comporte de nombreux obstacles. Nous avons également été stupéfait par l'absence de notion de client ou d'économie de marché tout simplement.

Pour notre part, nous nous sommes aperçu que nous avions beaucoup à partager avec eux. La Roumanie possède un très gros potentiel humain : de très bons ingénieurs, des informaticiens de génie, des poètes, des écrivains et des professeurs talentueux. C'est un peuple cultivé, intelligent et majoritairement polyglotte. Nous avons été impressionnés de voir dans chaque maison, dans chaque appartement, de l'ouvrier au sénateur, une bibliothèque fournie et éclectique. La vie culturelle fait partie du mode de vie. Après beaucoup de pays où il était difficile de rentrer en contact avec les habitants, d'établir une relation d'égal à égal, cette étape en Roumanie nous fait pénétrer d'un coup en Europe. Cette facilité à communiquer, cette proximité culturelle, relationnelle, spirituelle nous donne l'impression d'être chez nous, et l'on s'y sent bien.
Nous avons aimé partager et vivre ensembles quelques moments de leur existence. Comme cette ballade dans les montagnes enneigées des environs de Sibiu, comme les bonnes soupes au lard que nous préparait Tanti Blaga, comme la fameuse Suika (alcool de prune) qui réchauffe nos corps transis dans l'habitacle très aéré de Linda…
Mais pour finir, comme nous le disait un ami, les roumaines sont l'une des plus grandes richesses naturelles du pays, et nous sommes bien d'accord…

Nous avons donc vécu en Roumanie des moments forts, nous avons fait de riches rencontres et nous nous sommes profondément attaché à ce pays et à ce peuple. Nous avons été conquis par sa richesse, ses atouts et par ce sentiment diffus d'être à la fois si différents et si proches.
Nous avons quitté la Roumanie avec un certain optimisme pour son avenir, et avec le désir de le transmettre aux roumains. Ils donnent parfois l'impression que leur pays ne vaut pas grand chose alors qu'il possède énormément de potentiel. Le temps seul, et la patience d'attendre permettra de voir venir la Roumanie de demain. La voie sur laquelle elle s'est engagé semble la bonne et seule manque à certains la foi dans l'avenir pour construire aujourd'hui le futur dont tous rêvent.




La photo de la semaine






Le Pelisor (petit palais) à Sinaïa, ancienne résidence du roi.





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